Des gifles et des hommes
La violence que suscite le président est révélatrice de l'état de la société
Emmanuel Macron est allé à la rencontre des Français et le moins que l’on puisse dire c’est que la dites rencontre a fait du bruit, plus précisément le bruit d’une gifle qui restera dans les annales de la politique française.
Suite à l’incident, toute la Macronie y est allée de son refrain sur « la démocratie en danger », cette même Macronie qui incarne à elle-seule la collusion morbide entre la haute administration et les élites économiques. Le gouvernement semble oublier que l’ascension fulgurante d’Emmanuel Macron a été soutenu par la majorité des grands médias nationaux dont les lignes éditoriales reflètent la vision du monde de leurs propriétaires-milliardaires. C’est n’est d’ailleurs pas un hasard si la démocratie française compte parmi les pires élèves de l’OCDE au niveau de la liberté de la presse. Le gouvernement oublie également de mentionner que notre démocratie gauloise se caractérise par l’existence au plus haut sommet de l’État d’une forme de corruption institutionnalisée régulièrement dénoncée par le GRECO, l’organe anticorruption du Conseil de l’Europe.
Mais revenons à notre affaire de gifle :
Si porter la main sur le président de la République n’est pas un geste anodin, il est bon de noter ce n'est pas non plus une tentative d'assassinat. Il faut ainsi rappeler qu’Emmanuel Macron n'est pas le premier président à avoir été bousculé. Citons le cas de Nicolas Sarkozy qui à Bayonne fut obligé de se réfugier dans un bar parce que des manifestants violents voulaient s’en prendre à lui ou d’un François Hollande qui ne pu se représenter parce qu'il aurait été dans l’impossibilité de faire campagne sans se faire insulter ou agresser.
Un pouvoir politique lointain et inaccessible
Le symbole que constitue le fait de porter la main sur le président de la république, incarnation des institutions de la France, est certes grave, mais il ne constitue pas –contrairement à ce qu’affirme le gouvernement – une attaque contre la démocratie. En effet, l’immense majorité des Français qui haïssent Macron de tout leur être ne souhaitent pas abolir la démocratie. Bien au contraire, ils appellent de leurs vœux plus de démocratie à l’image des Gilets Jaunes qui revendiquaient la possibilité d’organiser des référendums d’initiative populaire comme c’est le cas en Suisse.
Ce qu’une grande partie des médias fait mine de ne pas comprendre, c’est que si Emmanuel Macron suscite autant de haine, c’est qu’il incarne la fracture majeure entre le système économico-politique et des citoyens en quête de démocratie qui ont l'impression de ne pas se reconnaitre dans l’offre politique proposée et d'avoir perdu toute emprise sur les événements. En réalité, la violence que suscite le président est révélatrice de la crise de légitimité du pouvoir politique.
La colère monte contre une technocratie parisienne qui semble évoluer dans une réalité alternative, une déconnexion qui a empiré avec la pandémie. La gouvernance jupitérienne et son hyper concentration des pouvoirs a fini par rompre les derniers liens organiques existant entre la haute administration et la population. En conséquence, ce manque d’emprise sur le fait politique peut amener des individus psychologiquement fragilisés à commettre des actes stupides, voire dangereux. Le profil du "gifleur"révèle ainsi un jeune déclassé de la France périphérique, vivant de missions d’intérim et connaissant des difficultés à joindre les deux bouts. D’après certains de ses proches, le gifleur éprouve un « gros ras-le-bol » face à un président qui, à ses dires, « ne nous écoute pas ».
Une monarchie républicaine à bout de souffle
La république française ne peut s’empêcher de copier le visuel et les maniérismes de l’ancien régime qu’elle est censée avoir aboli. C’est Emmanuel Macron lui-même qui en 2015 déclarait :
« Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. »
Depuis lors, le candidat Macron s’est mué en un véritable monarque républicain. La Ve République n’assume pas seulement une continuité culturelle avec l’Ancien Régime. La nature même du régime se fonde sur une ambiguïté institutionnelle permanente. Pire encore, depuis l’instauration du quinquennat – face à un président qui concentre tous les pouvoirs – l’assemblée nationale a été réduite à un rôle de chambre d’enregistrement des volontés présidentielles.
Ainsi, la Ve république n’est pas tout à fait « un régime parlementaire », sans être non plus un « régime présidentiel ». Selon les mots célèbres du professeur de droit Maurice Duverger, elle s’apparente plutôt à une « monarchie républicaine ». Dans l’interview de 2015 précédemment citée, l’actuel locataire de l’Élysée estimait que « la Terreur avait creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! » Selon Emmanuel Macron, « ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction ».
Sauf qu’apparemment, des millions de Français ne sont pas de cet avis.
L’illégitimité du pouvoir nourrit la violence
Pour beaucoup de Français, Macron est un usurpateur, un président-PDG, servant les intérêts des "grands", les grands groupes, grandes villes, grandes exploitations agricoles, grandes fortunes.
Car si pour certains, ce président peut être giflé, c’est qu’il est perçu comme le représentant de ce que le politologue américain James Galbraith dénomme l’État prédateur ; une « république-entreprise » où l’économie est dirigée par une coalition de puissants lobbies financiers. Ces derniers, ayant capturé l’appareil d’État, le transforme en un « État prédateur » dont la raison d’être est de servir les grands intérêts privés. Le discours officiel, libéral, est un rideau de fumée masquant cette forme perverse d’étatisme.
La puissance oligarchique est en train de vider de sa substance la souveraineté du peuple, ne laissant à ce dernier d’autre choix que la rue pour s’exprimer. Ce faisant, la politique française se retrouve prisonnière d’un cercle vicieux. L’illégitimité du pouvoir politique nourrit la violence populaire, obligeant l’État à recourir à la répression pour assurer sa survie, et donc d’accroitre encore plus son illégitimité aux yeux d’une partie de la population.
Quoi qu’il en soit, la campagne présidentielle va être chaude, très chaude….